La Muse et le Muso

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La Muse et le Muso

Dès le matin engrisé par une petite pluie fine qui tombe comme une poudre de ris de luxe sur les épaules à nu d’une jeune femme modèle qui se rit des gouttes, le vélin a fière allure.

C’est, de go, comme s’il réclamait son destin naturel de peau exhibée, offerte, presque obscène, à la plume et à l’encre, en en rajoutant sur la blancheur, et bravait la pâleur rosée de Marie-Rose qui s’expose à l’embrouillamini des lignes d’un noir de Chine, humides à souhait entre les doigts audacieux du maître de dessin qui règne sur les peaux de femmes et de veau mouillées à qui mieux-mieux, parce que l’une inspire l’autre qui transpire sans parcimonie.

La Marie-Rose se tortille sans perdre la pose, à bonne température de sa tempête intérieure que le regard du peintre déclenche, qui la zyeute sous toutes ses coutures défaites, cependant qu’il déroule les lignes de ses désirs débridés entre le pouce, l’index et le majeur en trio complice du forfait que l’artiste improvise avec brio, qui relève la gageure de mouiller le modèle, de l’impliquer jusqu’au cou dans ce nœud de crimes et de lignes sombres, sur la blancheur épidermique de la feuille qui tremble autant que la fille nue prête dès lors à y laisser sa peau, pourvu que le maître y trace de la main la volute et la caresse, avec l’audace qu’elle réclame, car elle se dit modèle vivant qui n’a cure de l’art.

Maintenant elle ordonne le coup de plume, réclame l’estoc, fait voir sa courbure d’échine, sa chute ostensible, sa fougue intraduisible, parcheminée d’une sueur sur son sofa à soupirs, et elle couine au petit poil, en finissant son œuvre de ses propres mains sinueuses promenées sur sa peau dessinée par l’artiste à l’œuvre. Lui a déjà sous la main la peau bovine, dont il poursuit les veines de sang noir, les rus d’aquarelle grise, les formes à l’eau de rose.

Toc toc toc – « Bonjour, je viens pour la pose.

- Et comment t’appelles-tu ?
- Moi, c’est Madeleine.
- Tu as entendu ce que j’ai lu ?
- Oui.
- Et tu n’as pas peur ?
- Non, mais vite, je t’en prie, je ne viens pas pour des prunes, je veux être le modèle du peintre, comme dans la vraie vie ! »

Jacques Lacolley
Avril 2021



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